Anecdotes 90 ans – Bichonnage au quotidien

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  • Dans l’article de blog du mois, intéressons-nous à l’entretien quotidien du téléphérique à travers les anecdotes 51 à 55.

    Sur une semaine d’été, l’entretien représente 13h45 de contrôle avant oivertire et 24h30 de maintenance à l’atelier, de quoi se sentir en sécurité !

  • L’atelier suspendu

    L’essentiel de l’entretien du téléphérique est réalisé en interne, par l’équipe des mécaniciens. Ils sont de cette espèce d’hommes pour lesquels un problème technique et un défi amusant. Ainsi, ils réparent, solutionnent font appel à leur savoir-faire et connaissances, toujours avec astuce et intelligence. C’est qu’œuvrer à faire fonctionner une machine vieille de 90 ans, n’est pas anodin. Plusieurs générations de mécaniciens se sont succédées et ont transmis non-seulement leurs connaissances, mais surtout leur exigence, voire un attachement profond à cet emblème grenoblois. Aujourd’hui, l’atelier est aménagé en dessous de la gare d’arrivée, mais jusqu’en 1976 (date de naissance des bulles), l’atelier était installé dans la passerelle qui enjambait le quai. Là, suspendus au-dessus des voitures et des piétons se trouvait tout le matériel, outils et machines-outils nécessaire à la bonne marche du téléphérique. En 2024, c’est toujours sur le même établi (désormais en haut) que les mécaniciens se penchent. La perceuse à colonne et le touret à meuler continuent, eux aussi, de bravement remplir leur office.

  • L’atelier dans la passerelle de la gare inférieure, avant 1976. ©RTGB
L’atelier sous le quai de la gare supérieure, depuis 1976. ©Marc Vazart

Les Bulles de Thésée

Le paradoxe de Thésée est une expérience de pensée philosophique selon laquelle un bateau (celui de Thésée) ayant navigué longuement, voyait ses bois se briser ou pourrir et devaient être remplacés à mesure du voyage. Ayant achevé son périple, le navire revenant au port n’avait plus un seul morceau du navire qui en était parti. Les philosophes s’interrogèrent alors : était-ce toujours le même ou était-ce un bateau différent ?

Et qu’en est-il de nos bulles ? Dès qu’une bulle atteint 12 000 heures de voyage, elle est retirée de la ligne, emmené au Vestibulle, où elle attend quelques années avant de rejoindre l’atelier dans lequel sa transformation mécanico-philosophique commence. Elle est alors entièrement démontée ! Ne reste d’elle que six arcs de cercle en aluminium. Ce n’est plus une bulle, mais l’idée d’une bulle. Toutes les pièces de sécurité et les vitres en plexiglass sont changées, toutes les autres pièces sont contrôlées, vérifiées, inspectées et, le cas échéant, changées elles aussi. Et même si les sièges restent les mêmes, ils sont rénovés, revernis. Donc, sachant que nous possédons 16 bulles qu’il y en a toujours eu au minimum 8 et au maximum 12 bulles en ligne, on peut dire que chaque bulle a été démontée et « rénovée » environ 6 fois depuis 1976. Sont-ce toujours les mêmes bulles ?

Bien sûr, cette rénovation (150 heures de travail, réalisées entièrement en interne, et dans l’atelier se situant au rez-de-chaussée de la gare du haut) commence par un désossage complet de la bulle, avec cet instant particulier où le plancher est retiré. Ici, c’est un plaisir enfantin qui nous attend à la découverte de ces petits objets qui, s’échappant des mains des passagers, se sont glissés sous leurs pieds, disparaissant dans la fente séparant le plancher de la paroi de la bulle. Enfin, certains voyageurs, un peu plus informés que d’autres, utilisent nos bulles comme des capsules temporelles et parfois nous glissent, soigneusement pliés sur une petite feuille, un message, un poème ou un dessin.

  • Vestibulle. ©Marc Vazart
  • Bulle sur le chemin de l’atelier. ©Théo Lalliot
  • « Grande visite » d’une bulle, en 2014. ©RTGB

  • Changement de bulle, en 2024. ©RTGB

Chronique d’un câble porteur

Visible depuis presque tous les quartiers de Grenoble, le Téléphérique de Grenoble est idéalement placé. Ainsi, nombreux sont les grenoblois qui gardent un œil attendri sur cette machine à grimper la Bastille. Les habitants sont tellement accoutumés à voir les cabines monter et descendre que le moindre comportement inhabituel suscite toutes les interrogations.

Or, en ce début août 1967, le téléphérique fonctionne de manière très particulière : toujours au même endroit, à la montée comme à la descente, le téléphérique ralentit très visiblement, il se met presque à l’arrêt. Comme s’il y avait un obstacle sur la ligne, un quelque chose qui empêcherait de passer à vitesse normale et obligerait à multiplier l’attention. Les plus curieux, ou les plus attentifs, auront également remarqué que la cabine de gauche embarque tantôt ses 20 passagers habituels, tantôt ne prend que la moitié de sa charge et tantôt voyage à vide. Ces étranges cabines suspendues dans le vide produisent un effet psychologiquement néfaste et le 11 août 1967, la décision est prise de fermer le téléphérique. Quatre jours et quelques brasures plus tard, le téléphérique retrouvera sa marche normale.

Le problème provenait du câble porteur gauche, après une habituelle visite de ligne, le technicien constate qu’un des fils d’acier du câble porteur est cassé. En soi, c’est un incident assez bénin, mais le câble doit être réparé. Rien d’exceptionnel, il suffit de faire une brasure (sorte de soudure) puis de mettre le câble sous surveillance renforcée. L’exploitation peut reprendre avec une charge moins lourde et en marquant un ralentissement au passage réparé. Prudence et surveillance.

Le problème se corse quand on découvre, deux jours plus tard, que la brasure a cédé ainsi qu’un deuxième fil à ses côtés. Les deux brasures sont immédiatement refaites, la fréquence des contrôles sensiblement augmentée et… les deux brasures cassent à nouveau. La suite serait un peu fastidieuse à raconter, on installe des colliers, puis des frettes sur une longueur de 15 centimètres, mais rien n’y fait, toutes les réparations donnent des signes de défaillance. Finalement, c’est un spécialiste de la câblerie de Bourg-en-Bresse qui viendra remplacer les fils d’acier fragilisés, sur une longueur d’un mètre. Et l’exploitation reprendra en marche normale.

L’histoire se termine par le changement complet des deux câbles, les futurs Jeux Olympiques de Grenoble fournissant une parfaite occasion pour cette dépense nécessaire de 45 000 francs.
Cette petite chronique d’un câble est exemplaire du soin et de l’attention accordée quotidiennement à la sécurité. Aujourd’hui, en 2024, c’est toujours les même deux câbles porteurs qui sont en service. Oui, vous avez bien comptés, ils ont 57 ans et ne montrent aucun signe de faiblesse. Pour les protéger de la rouille, ils sont graissés toutes les semaines et inspectés deux fois par mois.

  • « Merci pour cette conduite exemplaire »

    Deux fois par mois, au petit matin, bien avant l’ouverture au public et quelle que soit la météo, il est possible d’assister à un bien étrange voyage : les deux passagers de ce convoi sont debout, sur une bulle comme deux cosmonautes solidement ancrés à une petite planète. Survolant le Fort de la Bastille, les toits de la ville, l’Isère, il y a presque du St Exupéry dans cette image matinale. Ils ne sont ni allumeurs de réverbères, ni astronomes turcs mais contrôleurs de fil d’acier.

    Debout sur leur astéroïde, ils font ce qu’ils appellent la visite de ligne car ce voyage aérien n’a qu’un objectif : contrôler l’état des câbles. Nos cosmonautes, tous les deux employés par la régie du téléphérique, connaissent les câbles par cœur, aucun point singulier ne leur est inconnu. Ici, une zone de flexion alternée – drôle de gymnastique du câble en entrée et sortie de sabot – sur laquelle il faut s’arrêter pour parfaire le graissage, un peu plus loin c’est un galet qui chante faux qui tique un peu et qu’il faudra retoquer à la prochaine visite. Et puis parfois, ce drôle d’équipage accoste au pylône, quitte les cinq petites planètes qui continuent seules leur circumnavigation, abandonnant ici nos fil-de-ferologues. Seuls, naufragés volontaires sur cette tour d’acier et dans le silence de l’aube, ils écoutent la chanson des poulies et du câble. L’harmonie règne, absence d’anomalie manifeste. Puis la constellation des bulles se rapproche à nouveau, s’aligne au pylône et attend d’être repeuplée avant de reprendre son voyage ascensionnel.

    Aventure délicatement manœuvrée depuis la gare motrice par le maître de la rotation des planètes, sans cesse attentif à ne pas faire d’à-coup. Ce voyage prendra fin lorsque surgissant de la radio, la voix du cosmonaute en chef dira : « merci pour cette conduite exemplaire ».

    Deux semaines plus tard ce phénomène stellaire reviendra, cycle immuable, garantie d’un destin paisible et confortable pour les futurs milliers de passagers des bulles.

  • Visite de ligne par Yves et Thibaut, en 2014. ©RTGB

Des hommes de qualité

« Mais tu m’emm… ! », voilà comment le représentant du BDARM (Bureau Départemental des Appareils de Remontées Mécaniques) a été accueilli par le directeur du téléphérique de l’époque (Michel Lambert) lorsqu’il est venu avec le projet de lancer le processus de certification ISO 9001. « Mais tu m’emm… ! Tu ne crois tout de même pas que j’vais me faire ch… avec de la paperasse en plus ! ». Sauf que Mister BDARM (Jean Joubert) a des arguments. Et ce ne sont pas les arguments classiques (processus d’amélioration continu, amélioration de la satisfaction du client, amélioration de l’activité commerciale, etc.) qui vont convaincre Lambert de s’essayer à l’expérience. C’est plutôt l’esprit pionnier du directeur qui va être titillé, chatouillé avec habilité : d’abord, c’est expérimental, si ça ne marche pas, on arrête tout et voilà. Mais surtout, c’est tout nouveau, c’est moderne, aucune remontée mécanique en France n’a la certification ISO 9001. Tu serais le premier, avec l’Alpe d’Huez et Gresse-en-Vercors. Premier ? Expérience ? OK ! Et voilà comment le Téléphérique de Grenoble, en devenant un des trois premiers exploitants de remontées mécaniques à être certifiés, a tracé une nouvelle piste qui sera suivie par la majorité des autres domaines skiables de France.

Aujourd’hui en 2024, la certification est devenue centrale dans la vie quotidienne du téléphérique. En effet, c’est grâce à cette certification que la totalité des opérations d’entretien et de maintenance peuvent être réalisées en interne, par l’équipe de mécaniciens. Sans certification, il faudrait sans cesse avoir recours à des prestataires extérieurs.

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