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Dans l’article de blog du mois, découvrez à travers les anecdotes 24 à 32 les bâtis et structures du téléphérique de Grenoble ainsi que leurs évolutions depuis 1934. Les gares et le pylône n’auront plus de secret pour vous…
Retour vers le futur
En 1934, le téléphérique n’est pas qu’un moyen de promotion touristique de Grenoble mais également un outil de promotion technologique.
La preuve par les gares :
- En bas, la gare est une évocation de la tour de l’Isle : une tour carrée édifiée sur les bords l’Isère au XIVe siècle, un des plus anciens bâtiments de Grenoble. Son volume est allégé par une voûte, surplombant le quai Stéphane Jay.
- En haut, la gare est un bâtiment futuriste, une sorte de cube blanc, avec des arrêtes arrondies et des hublots comme ouvertures. Celle-ci se veut massive, à l’image des édifices militaires du passé.
Le message de l’architecte Jean Benoit est clair : le téléphérique est une machine à voyager dans le temps ! Il élève les passagers du passé vers le futur.
Plus tard en 1976, les bulles peuvent évoquer des petits véhicules futuristes, sortes de soucoupes volantes pour traverser le paysage. Bref, embarquer dans ce téléphérique est sans doute une expérience bien plus importante qu’il n’y paraît.
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Gare inférieure, en 1934.
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Gare supérieure, en 1934.
La passerelle et la passe-câble
Evocation historique de la tour de l’Isle (à 200 mètres en amont), la gare de départ de 1934 est déjà une invitation au voyage. En effet, les deux escaliers ouverts au public sont construits en encorbellement au-dessus de l’Isère, comme si l’on voulait préparer les futurs passagers à la sensation de vide.
Mais alors, si l’accès public se fait par ces deux escaliers, à quoi sert cette sorte de passerelle qui enjambe la route et semble rejoindre le jardin de ville ? Eh bien, c’est une passerelle technique permettant de relier la salle des machines à la gare. En effet, le moteur et la poulie motrice sont déportés de l’autre côté de la route, ainsi que l’ancrage des câbles porteurs. Donc, dans cette passerelle, des câbles et un atelier. Une conséquence de cet agencement est que le public ne voit aucune pièce tournante. Cela ajouterait-il à la magie du voyage ? À vous d’en juger…
Aujourd’hui, le moteur se trouve au même endroit et la gare d’embarquement est construite au-dessus avec la poulie motrice bien visible. Cela ajouterait-il à la magie du voyage ? À vous d’en juger !
Schéma de la gare inférieure, en 1934.
En attente de vertige
1959, le téléphérique fête ses 25 ans, et le public est toujours au rendez-vous. Dès lors, comment célébrer dignement ce quart de siècle ? Les cabines dodécagonales en bois et peintes en bleu ont déjà été remplacées par des cabines carrées en métal et peintes en vert. Puis les cabines vertes ont été repeintes en rouge et or, aux couleurs de Grenoble. Que faire ?
Une idée : améliorer encore l’accueil des passagers en bâtissant une salle d’attente. C’est l’architecte Jean Benoit qui sera chargé de modifier la gare de départ qu’il a lui-même construite en 1934. Et voilà comment en juin 1960, les grenoblois inaugurent une salle d’attente hissée sur des piliers et aux allures de tour de contrôle. Toute en vitres, elle permet à une centaine de voyageurs de patienter en regardant les cabines faire leur va et vient au-dessus de l’Isère. Cette salle est tellement grande qu’elle verra régulièrement le personnel du téléphérique s’y réunir avec familles et amis pour toutes sortes de moments festifs.
Quant aux passagers, ils ont la possibilité de vivre le voyage en avance en mettant quelques pièces dans un monnayeur afin de mettre en action une maquette monumentale du téléphérique. Maquette réalisée par le personnel du téléphérique et sur laquelle il est fièrement inscrit : « voyageurs transportés 8 000 000, voyageurs accidentés 0 ».
Bref, tout ici est promesse et mise en abîme : on joue au téléphérique dans la gare du téléphérique et la salle d’attente est un panorama sur le panorama. Vertige avant le vertige.
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Extension de la gare inférieure, en 1959.
Maquette du téléphérique dans la salle d’attente du téléphérique, en 1959.
Invitation au voyage
En 1934, le téléphérique de Grenoble est l’un des premiers téléphériques urbains au monde après ceux de Rio de Janeiro de Cape Town. Mais qu’est-ce qu’un téléphérique urbain ? C’est un téléphérique dont la gare de départ est installée en ville et donc immédiatement accessible.
En termes esthétiques, l’enjeu est fort : la gare doit à la fois être intégrée dans la ville tout en étant visible et attirante. La simple vue de la gare doit raconter, être une invitation au voyage. Ainsi, en 1934, la gare de départ est une évocation d’un des plus anciens bâtiments historiques de Grenoble, la Tour de l’Isle.
Puis en 1976, tout change. Les cabines carrées sont remplacées par des véhicules qui racontent une tout autre histoire : des bulles transparentes. Certes, on continue de traverser le paysage mais le voyage gagne en légèreté et ces petites bulles qui s’envolent au-dessus de l’Isère deviennent un véritable spectacle. Il y a bien deux manières d’apprécier ce voyage : en passager embarqué ou en spectateur resté sur les quais. Pour ce dernier, le spectacle doit aussi être total.
Alors la nouvelle gare, conçue par l’architecte Félix-Faure, est transparente avec son habillage de métal et de verre, pour que rien de ce qui se passe à l’intérieur n’échappe au regard du badaud curieux. Il voit les bulles entrer dans la gare, les portes s’ouvrir, les passagers descendre sourire aux lèvres, ou encore frissonnants. Et puis, à peine les bulles commencent-elles leur demi-tour que déjà de nouveaux passagers au yeux brillants, ou parfois inquiets, se lovent dans ces cocons transparents sous le regard rêveur du promeneur admirant les bulles s’échapper de la gare. Bon voyage !
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Démolition de la gare inférieure, en 1976.
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Construction d’une nouvelle gare inférieure, en 1976.
Machine à bulles
Tous les jours c’est le même spectacle : depuis la gare haute – bloc de béton blanc orné de larges hublots surplombant Grenoble depuis 1934 – avec délicatesse, sortent sagement cinq petites bulles chatoyantes. Sans hésitation, mais avec grande précaution, ces cinq sœurs semblent vouloir explorer les lois de la gravitation et se jettent en douceur vers les eaux de l’Isère. Il y a du suspens… Vont-elles, comme leurs cousines en savon, soudainement disparaitre ou être emportées par un courant d’air ?
Elles s’approchent maintenant du sol, se faufilent dans la gare du bas et, poussées par un souffle magique, sont renvoyées avec légèreté vers le ciel. Etonnamment, par un étrange phénomène, au même instant, cinq sœurs nouvelles pointent le bout de leur bulle à la sortie de la gare du haut convertie, depuis 1976, en machine à bulles. Inchangée depuis 1934, la gare haute n’a fait l’objet que de quelques réaménagements intérieurs pour accueillir le nouveau système de fonctionnement en 1976.
Gare du haut dont le destin s’inscrit dès 1934 dans ses murs, grâce à l’intuition merveilleuse de l’architecte Jean Benoit, qui, pour faire entrer la lumière, avait déjà imaginé ses ouvertures en hublots. Les hublots sont-ils les papas des bulles ?
Ce n’est que bien plus tard, en 2005, que notre gare-machine-à-bulles, toujours coquette, rajeunira en habillant certains de ses murs avec de l’acier corten. Ainsi, vêtue de cette robe rouille, elle continue inlassablement d’enfanter des ribambelles de bulles.
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Les bulles en sortie de gare, en 2020. -
Rénovation de la gare supérieure, en 2005.
PMR : Pour Mieux Rêver
1976, le téléphérique de la Bastille est le premier en Europe à disposer d’une bulle spécifiquement adaptée aux Personnes à Mobilité Réduite. Dans cette bulle sans mât central, se libère, pour le fauteuil, une Place pour Manœuvrer et Regarder le paysage. Le site de la Bastille serait-il un Précurseur en Mécanique Responsable concernant l’accueil des personnes en situation de handicap ? Ce n’est pas si sûr car, en haut, seule une Promenade Minimaliste et Rapide à gauche et une Passerelle Menant au Restaurant à droite autorisent un déplacement facile. Le reste du site est un enchevêtrement d’escaliers Particulièrement Mauvais et Raides. Et voilà notre PMR, Prisonnier, Malheureux, Retenu sur cette Promenade Médiocre et Restreinte. Cela ne Pouvait Manifestement pas Rester dans l’état. En 2005 un grand chantier est enfin Programmé pour Modifier Radicalement les accès du fort. Grace à deux ascenseurs, le Panorama Merveilleux Rencontre un nouveau Public Magnifiquement Ravi désormais appelé Personnes à Mobilité Riante !
Le chant du pylône
En 2024 le téléphérique fête ses 90 ans, l’âge est vénérable mais il a été continuellement soigné, transformé, entretenu, réparé. Alors que reste-t-il de 1934 ?
Les câbles ? Non, heureusement !
Les cabines ? Les bulles sont la troisième génération.
Le moteur ? Changé.
Les freins ? Changés aussi.
Le pylône ? Oui ! Il est toujours là, intact, solide, inchangé et surtout sous haute surveillance. Tous les 10 ans les pieds d’ancrage en béton sont expertisés. Par ailleurs, galets, sabots, axes, anti dérailleurs… sont sans cesse (tous les mois) surveillés, bichonnés, graissés.
Et puis, il y a les rivets. 2500 rivets qui sont vérifiés tous les 5 ans, un par un, chacun leur tour. Il y a bien sûr un contrôle magnétoscopique de toutes les soudures. Enfin on les écoute, on vérifie que les rivets chantent juste. Les mécaniciens disent qu’ils les font sonner : chaque rivet reçoit un petit coup de marteau et les oreilles attentives du mécanicien analysent le son. Est-il bien mat, bien plein, sans résonnance ? Reste une question : en 90 ans, combien de rivets a-t-il fallu remplacer ? Aucun, il n’y a jamais eu un seul rivet défectueux !
Détail du plan de rivetage de la partie inférieure du pylône, en 1933.
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La tour Eiffel de Grenoble
Deux petites histoires font parfois la fierté des grenoblois. La première consiste à raconter que notre téléphérique est le premier téléphérique urbain du monde… C’est vrai, mais juste après le téléphérique de Rio de Janeiro et celui de Cape Town. La seconde histoire laisse supposer que notre pylône est une petite Tour Eiffel ! Rien que ça ! Fabriqué par Gustave Eiffel, himself ! Ou alors, les établissements Eiffel… Ou un truc comme-ça… Enfin, il doit bien y avoir un rapport avec Eiffel ?
Cherchons un peu : Les plans du pylône sont dessinés par les établissements Bleichert, le constructeur du téléphérique. Quant à la fabrication du pylône, elle est confiée aux ateliers (grenoblois) de constructions métalliques Para. Décidément, Eiffel n’y est pour rien… Mais alors d’où vient cette rumeur prestigieuse qui encadre notre pylône ? Tout simplement de la technique de fabrication : l’assemblage est réalisé par rivure à chaud, c’est-à-dire, la même technique que celle utilisée pour la Tour Eiffel !
En réalité pas de quoi se vanter, c’est une technique très courante à l’époque, voire déjà un peu dépassée car la soudure électrique commence à la remplacer. Reste que notre pylône, haut de 23,50 mètres, soutient notre téléphérique sans faillir depuis 1934.
Mais qu’est-ce que la rivure à chaud ? C’est une technique consistant à chauffer le rivet à 1100°C au moment du rivetage. Ainsi, en refroidissant le rivet se rétracte dans la longueur et assure un « assemblage de force » des pièces en présence. Ça vous intéresse ? Alors on continue un peu : cette technique existe depuis le début du XIXème siècle et la mettre en œuvre faisait appel à quatre métiers pour poser un seul rivet :
- Le Chauffeur, qui supervise la température (1100°, la pièce est rouge-cerise),
- Le Passeur de rivet, qui transporte le rivet en sortie de four pour l’amener au riveur,
- Le Teneur de tas, qui maintient en place l’extrémité du rivet à l’aide d’une matrice (le tas),
- Le Riveur, qui refoule la tige et forge la seconde tête en la frappant avec la bouterolle (le marteau doté d’un embout faisant office de moule).
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Le pylône est assemblé, en 1934. © Charles Piccardy.
L’élégance du pylône au fond de la nuit
Pour de nombreux grenoblois, apercevoir du coin de l’œil le petit train de bulles ascensionner les pentes de la Bastille, c’est comme vivre une respiration poétique. Il y a de la beauté dans ces bulles, car leur apparition est toujours une surprise et ne dure qu’un instant. Et puis arrive cette heure où, les bulles s’évanouissant dans la pénombre de la nuit, le pylône s’illumine. Cet éclairage est d’abord une obligation relative à la sécurité aérienne, mais depuis le mois de février 2023, il change parfois de couleurs. Il s’offre en bleu, ou en jaune, ou en vert, sans logique apparente, pouvant rester plusieurs soirs de suite de la même couleur puis changer de teinte. Le pylône serait-il lui aussi un agent poétique ? Jouerait-il avec notre émotion esthétique ? Voudrait-il faire respirer notre imagination ? Il nous parle, il communique, il nous invite à le regarder ; mais il n’est pas un phare, il est un sémaphore : il délivre un message sur notre qualité de respiration :
- Bleu : l’air est bon
- Vert : moyen
- Jaune : dégradé
- Rouge : mauvais
- Pourpre : très mauvais
- Magenta : extrêmement mauvais
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