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Anecdotes 90 ans – Le téléphérique dans tous ses états

18 juin 2024
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Dans l’article de blog du mois, découvrez à travers les anecdotes 46 à 50, toutes les facettes les plus insolites du téléphérique de Grenoble !

Tour de France, funambules, couleurs… le téléphérique n’a pas fini de vous surprendre !

Les Bulles et le Tour !

Il n’est pas sûr que ce soit la vérité, mais il paraît que toute petite, Patricia GALLOIS, aujourd’hui directrice de la Régie du Téléphérique, exigeait de ses parents qu’ils lui achètent ce jouet pour fabriquer des bulles de savon. Obsession bien particulière puisque l’enfant essayait à chaque fois de souffler cinq bulles d’un coup et surtout jamais six. Selon la fillette, six risquaient de porter malheur… Bref, l’enfant est rêveuse et possède une façon assez unique de jouer au téléphérique. C’est ainsi que, quand elle s’est vue recrutée pour prendre la direction du téléphérique de la Bastille, toutes les bulles de sa vie se sont alignées. Harmonie ! D’autant que la fillette avait grandi, savait désormais parfaitement compter et avait ajouté à son caractère déjà bien trempé une bonne dose d’audace. Créativité, imagination et détermination sont peut-être le carburant de son dynamisme inépuisable. Ainsi, diriger le téléphérique, c’est bien ; s’assurer que tout se fait dans les règles de sécurité, c’est bien ; compter juste pour assurer l’avenir, c’est bien ! Ne reste plus qu’à faire savoir au monde entier que le téléphérique existe, et pour cela Patricia ne manque pas d’idées.

Ainsi va-t-elle profiter de ce moment médiatique où toutes les caméras du monde sont braquées vers Grenoble : le Tour de France 2020. Quand Patricia comprend que le peloton passera au pied de la gare, son sang s’est soudainement oxygéné et des bulles supplémentaires lui sont montées au cerveau. Elle s’est alors exclamée : « on va accrocher trois cyclistes sous les bulles ! ». Branle-bas de combat dans l’équipe, on trouve les baudriers, le système d’attache pour que tout se fasse en sécurité (Patricia ne négocie jamais avec la sécurité), les costumes (maillot jaune, maillot à pois et maillot vert) et il ne fut pas si difficile de trouver des candidats pour pédaler dans les airs. Arthur, Arthur et Clément (par discrétion, nous ne dirons pas lequel des deux Arthur est le fils de Patricia) rêvent encore de ce moment où jamais le peloton ne les a rattrapés. Quoiqu’il en soit, opération réussie, l’image prise depuis l’hélicoptère du Tour de France a fait le tour du monde.

Passage du Tour de France sous le téléphérique, en 2020.

Un pète au casque

Que se passe-t-il dans la tête d’un funambule quand il regarde un téléphérique ? Simple, il ne voit que le câble et veut monter à pied en marchant dessus.

Le premier sera le funambule Henry’s (Henri Réchatin), le 28 septembre 1981. L’homme est bien connu pour ses exploits, notamment en 1973, où il a passé six mois sur un fil sans en descendre. Quand il arrive à la Bastille, on lui prépare le téléphérique : Henry’s marchera sur le câble porteur, les bulles qui le précéderont de 50 centimètres en roulant à sa vitesse. Un chariot de sécurité est aménagé sur le toit de la bulle aval et permettra au funambule d’éventuellement prendre un peu de repos en cas de tétanisation des muscles. Enfin, pendant toute l’ascension, Paul Erié (le chef d’exploitation) s’occupe de dégraisser le câble juste avant que le funambule n’y pose son pied. L’ascension commence, tout se passe bien, mais plus l’homme s’approche du pylône et plus la pente est raide (42%). C’est ainsi qu’un peu avant le pylône, par épuisement d’un mollet, Henry’s préfère s’arrêter.

Le second funambule est aussi une célébrité : Freddy Nock, recordman en 1998 de la plus grande distance parcouru (734 mètres) sur le câble du téléphérique de St Moritz. Les 700 mètres de notre téléphérique ne devraient pas trop lui poser de problème. Mais c’est sans compter sur les facéties de la météo de notre vallée, un peu trop de vent, quelques gouttes de pluie, et pour cette première tentative du 14 septembre 2001, Freddy Nock doit, après quelques pas sur le câble, rebrousser chemin. Qu’importe, il reviendra en découdre avec notre fil le 26 septembre. Cette fois le temps est sec et le vent inexistant. Le personnel de la Régie du Téléphérique est prêt, le câble est dégraissé, les bulles sont équipées du panier de service, mais Freddy Nock n’a pas voulu du chariot de sécurité. D’ailleurs, les bulles le précéderont de plusieurs mètres, c’est mieux pour les photos. La Régie a accordé son autorisation à une condition : s’arrêter au pylône, on se souvient des difficultés d’Henry’s et personne ne veut risquer l’accident. Cependant, quand l’équilibriste pose ses pieds sur le câble, il est en colère car il vient d’apprendre que, 20 ans plus tôt, Henry’s avait déjà affronté le vide de la Bastille ! Il n’est donc pas le premier, et c’est furieux qu’il s’élance dans l’ascension. Au pylône, un pompier du GRIMP l’attend pour l’aider à quitter le câble en toute sécurité, mais Freddy Nock veut sa première place, et contre toute attente, il force le passage et continue l’ascension. En arrivant à proximité de la gare, Freddy Nock termine les derniers mètres en courant, établissant ainsi le record à battre, 34 minutes d’ascension. Le pompier en fonction au pylône racontera ensuite avoir pris un coup de perche sur le casque quand le funambule a « forcé » le passage.

Henry’s le funambule, en 1981.

Freddy Nock le funambule, en 2001.

En forme olympique pour les noces de granit !

Il y a deux façons de savoir si l’on est à Grenoble. La première est stendhalienne, chacun connaît la phrase de l’auteur : « Au bout de chaque rue, une montagne ». Et la seconde consiste à regarder les vitrines : « Dans chaque boutique, le téléphérique ». Et c’est une sorte de responsabilité de porter cette image, d’être l’emblème, le symbole, voir le blason de la ville.

Alors, depuis toujours, le téléphérique s’harmonise avec les grands événements qui font sens avec la ville. Par exemple, en 2022, Grenoble est capitale verte européenne, alors c’est tout simplement que la suspension de l’une des bulles devient verte. Ou encore, en 1968 pour les JO, les cabines arborent fièrement les 5 anneaux olympiques.

C’est d’ailleurs bien la combinaison de ces deux idées qui a donné à Patricia GALLOIS, la directrice, l’envie de donner aux cabines les couleurs de l’olympisme. Après tout, Grenoble est une ville olympique, on a déjà une bulle verte, les autres bulles sont rouges, ne reste plus qu’à peindre les trois autres en jaune, bleu et noir, et le téléphérique sera raccord avec les JO de Paris 2024.

Hélas, parfois les bonnes idées se heurtent à des intérêts qui nous échappent et le comité olympique a obstinément refusé le clin d’œil… Tant pis, le téléphérique n’aura pas de bulle noire mais une bulle grise qui se hissera sur le câble le 3 juin 2024. Ben oui, les 90 ans du téléphérique, c’est les noces granit !

Téléphérique décoré des anneaux olympiques, en 1968.

Train de bulles multicolores, en 2024.

Et vous, vous en voyez combien des bulles ?

Mais alors, il y en a combien des bulles ? On n’y comprend plus rien à votre téléphérique ! Un coup, il y en a 4, après il y en a 5, certaines personnes se souviennent d’en avoir vu 3 et d’autres prétendent avoir vu le téléphérique tourner avec seulement 2 bulles. La réponse pourrait être un peu ironique car le nombre de bulles annoncées par le locuteur est un indicateur de l’âge de ce dernier.
Explications :

  • Si vous avez vu 2 bulles, alors vous avez assisté aux essais en ligne de 1976. Nous sommes avant l’ouverture au public, toutes les bulles n’étaient pas encore livrées mais les réglages avaient déjà commencé. Remarquez que (voir photo ci-dessous), ces deux bulles sont espacées de manières à pouvoir loger entre elles une troisième bulle comme cela se fera lors de l’exploitation.
  • Vous avez vu 3 bulles, alors vous avez assisté aux tous débuts du téléphérique. A cette époque, ce sont 4 trains de 3 bulles qui voyagent. C’est beau, car, il y a toujours des bulles en ligne, mais cela ralentit trop le débit, le téléphérique devant freiner pour laisser les voyageurs descendre à chaque passage en gare.
  • Si vous avez vu parfois 4 bulles, parfois 5 bulles, alors vous avez regardé le téléphérique parfois en hiver (4 bulles), parfois en été (5 bulles). En effet, il n’y a encore pas si longtemps, afin d’économiser le matériel, on préférait déposer une bulle en période de moindre affluence.
  • Si, été comme hiver, vous avez toujours vu 5 bulles, alors vous êtes très jeune ! C’est en effet seulement depuis 2020 que, la fréquentation étant sans cesse en augmentation, il a été choisi de privilégier le confort des passagers pour ne pas les laisser attendre au froid.
  • Si vous avez vu 6 bulles, alors vous avez assisté à une manœuvre. Peut-être travaillez-vous au téléphérique et avez-vous participé à la manœuvre (en gare haute) consistant à ajouter une bulle avant de retirer celle qui doit partir en révision.
  • Si vous avez vu 7 bulles ou plus, alors, vous avez vu une photo truquée ! Ou vous avez bu trop de champagne ! Ou vous êtes un habile photographe qui a capté l’instant juste avant le croisement des 2 trains de bulles = 10 bulles !

Ainsi aujourd’hui, ce sont toujours 2 trains de 5 bulles qui voyagent, tandis qu’une bulle est en rénovation à l’atelier et que 5 autres attendent d’être rénovées. Bilan : 5 + 5 + 1 + 5 = 16 bulles au total, le compte est bon.

Bulles à vendre ?

Deux fois cinq bulles qui s’envolent toute la journée au-dessus de Grenoble et dont l’élégance légère attire tous les regards, fatalement ça stimule les publicitaires ! Mais soyons honnêtes, c’est nous qui avons commencé. En avril 1985, pour divertir les enfants, les bulles se sont transformées en œufs de Pâques. Opération suffisamment amusante pour être renouvelée régulièrement et susciter des envies marketing.

Cependant, si personne ne voit rien à redire à marquer le passage à l’an 2000, maquiller les bulles pour signaler un événement de la Maison de la Culture ou pour qu’elles ressemblent à des ballons de foot (GF38), c’est commencer à flirter avec une limite. Limite franchement dépassée quand POMA, IKEA ou la SAMSE placardant leurs noms en gros sur les bulles, s’imposent tant aux voyageurs qu’aux habitants. Peut-être fallait-il essayer pour s’apercevoir de la mauvaise idée ? Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, les bulles ne se décorent plus que pour une seule cause, soutenir le Sidaction.

Œufs de Pâques, en 1985.

Passage à l’an 2000.

Campagne POMA, en 2012.

Ruban Sidaction, en 2018.
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Anecdotes 90 ans – La mécanique du téléphérique

3 juin 2024
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Dans l’article de blog du mois, découvrez à travers les anecdotes 34 à 45, les rouages du téléphérique de Grenoble. Contrepoids, câbles, moteur, poulies… Des pièces essentielles au bon fonctionnement du téléphérique !

Une technologie unique au monde à cause des enfants

Un téléphérique, ça fonctionne toujours de la même façon : la cabine de gauche monte et descend sur le câble porteur de gauche, et celle de droite sur le câble de droite. C’est comme ça pour tous les téléphériques du monde, sauf pour celui de Grenoble qui a changé de mode de fonctionnement en 1976, passant d’un système à va-et-vient, à un système à rotation continue. Autrement dit, les bulles montent toujours sur le câble porteur de droite et redescendent sur celui de gauche. En gare, les bulles doivent donc quitter le câble, passer sur un rail, avant de remonter sur l’autre câble. C’est un système beaucoup plus compliqué à construire. Ainsi, à l’exception du téléphérique de La Grave, le téléphérique de Grenoble est le seul au monde à utiliser ce système.

Mais alors pourquoi se compliquer la vie ? On voudrait qu’il y ait une raison économique, cela permettrait un meilleur débit, plus de passagers à l’heure. Mais non, la performance du téléphérique n’a pas été augmentée et même au contraire. Lors des premiers mois d’exploitation des bulles, le débit était moindre parce qu’il y avait 4 trains de 3 cabines, ce qui obligeait à ralentir le téléphérique deux fois plus souvent afin de laisser les passagers monter et descendre des bulles. Un enfant aurait réussi le calcul sans se fatiguer : deux fois plus d’arrêts en gare donne une vitesse moyenne fortement ralentie.

Alors, pourquoi avoir choisi ce système à rotation continue ? À cause des enfants justement ! Ou plutôt, pour faire plaisir aux enfants ! Le concepteur des bulles, Denis Creissel, ne supporte pas l’attitude de certains adultes qui ont l’indélicatesse de ne pas laisser les enfants s’approcher des fenêtres pour profiter, eux-aussi, du paysage. Il faut qu’il trouve une solution et il se demande comment obliger tous les passagers à s’asseoir tout en les laissant admirer le paysage. Une bulle ! Une petite bulle avec 6 passagers maximum évitera les conflits et rétablira l’équilibre entre les adultes et les enfants. Hélas, un téléphérique qui ne transporterait que six passagers par voyage, ça fait peut-être plaisir aux enfants, mais c’est économiquement irrecevable. Qu’importe ! On mettra plusieurs bulles ! On fera des trains de bulles, jusqu’à cinq bulles, cela permettra de transporter trente voyageurs. Et le tour est joué ! L’idée est bonne, mais cinq bulles les unes derrières les autres, cela donne une bonne longueur. Il va falloir des quais d’embarquement capables d’accueillir cette procession de bulles et on n’a pas la place. Sauf si le quai est arrondi, circulaire. Voilà pourquoi, quand les bulles entrent en gare, elles s’enroulent autour de la poulie et passent gracieusement d’un câble à l’autre.

Bien sûr, nous exagérons un peu et les bulles ont aussi une raison esthétique, une raison technique (le téléphérique traverse une vallée assez ventée) et une raison économique : il n’est plus nécessaire d’embaucher un cabinier !

Dernière séance !

C’en est fini ! 15 janvier 1976, le système Bleichert à va-et-vient, en place depuis 1934, ferme ses portes. Dans quelques jours commencera le chantier de démolition nécessaire pour voir les bulles s’envoler au-dessus de l’Isère à partir du mois d’août. Ce n’est pas rien, c’est toute une mécanique, une histoire, des souvenirs qui s’en iront en poussière. Heureusement quelques employés, au sourire facétieux, pensent à immortaliser l’instant et photographient le dernier passager prêt à embarquer pour le dernier voyage. On reconnait sur la photo (de gauche à droite) Jacques Ruh, Michel Gallo (le dernier passager), Rocco Tricoli et Monsieur Breuil… Et puis, non loin de là (où exactement, nous ne le savons pas), se trouve un tout jeune homme commençant une collection qui occupera une vie entière. Yves Erié, pour ne pas le nommer, va systématiquement mettre de côté des vestiges de cette époque. Ici il sauve de la poubelle un bouton de marche-arrêt, là il dérobe un cadran de voltmètre, ailleurs il récupère les voyants du pupitre de commande, etc. et petit-à-petit, il devient la mémoire vivante du téléphérique.

Dernier voyage en va-et-vient, en 1976.

Porter et tracter : les deux mamelles d’un téléphérique

Savez-vous la différence en entre un téléphérique et une télécabine ? Comme un télésiège, une télécabine est monocâble, alors qu’un téléphérique possède un câble porteur et un câble tracteur. Les cabines roulent sur le câble porteur et sont mises en mouvement par le câble tracteur. Ainsi, même si nos bulles ressemblent aux œufs d’une télécabine, c’est bien d’un téléphérique dont il s’agit.

©Marc Vazart

Une machine longue de plusieurs milliers de mètres, ça n’existe pas ?

Pas de téléphérique sans câble ! Ce n’est pas tout-à-fait vrai car avant l’invention du câble en acier, des téléphériques existaient, mais suspendus à des cordes et servant surtout au transport de matériaux. Le câble en acier, plus solide, plus sûr, plus résistant, permettra l’essor des téléphériques de voyageurs et donc du tourisme de montagne.

Mais qu’est-ce qu’un câble ? Certains techniciens, avec un brin de malice et de poésie, l’œil pétillant, vous diront qu’un câble est une sorte de machine, c’est-à-dire un assemblage de pièces interagissant entre-elles, se transmettant des forces, de l’énergie au service d’un résultat attendu. Pour le résultat, chacun le connaît : transporter des voyageurs en toute sécurité. Mais un assemblage de pièces ? De quoi parle-t-on ? Eh bien, un câble est un assemblage de fil d’acier, certains câbles pouvant comprendre plusieurs centaines de fils ! Car l’unité de base est le fil, un fil en acier – presque un fil de fer – mais plus solide car possédant une haute teneur en carbone.

Prenons l’exemple du câble tracteur de notre téléphérique : il y a d’abord 1 petit fil d’acier de 2,5 mm de diamètre autour duquel s’enroulent 8 fils de 1,5 mm et, autour de ces 8 fils, s’entourent à nouveaux 8 fils de 2,85 mm. Cet ensemble de 17 fils forment un toron. Et le câble entier et composé de 6 torons soit 102 fils d’acier. Cependant ce scoubidou de fils, ces six torons ne s’entourent pas vraiment les uns sur les autres mais enroulent l’âme du câble, c’est-à-dire un fil épais (environ 1 cm de diamètre) en matière plastique. Et si aujourd’hui cette âme est en plastique, autrefois, les torons d’acier s’enroulaient autour d’une corde en chanvre. Bref, ce câble est une machine composée de 103 pièces.

Mais alors, la transmission de forces, l’énergie, c’est quoi l’histoire ? Eh bien, quand il y a du poids sur le câble, quand l’on tire dessus, quand il tourne autour de la poulie, quand il se relâche, quand il y a une accélération, bref dès qu’il y a un mouvement, tous ces fils glissent, s’ajustent, se frottent les uns contre les autres. Se frottent ! Mais alors, dites-vous, un peu affolés, si ça frotte, ça s’use ! Et si ça s’use, ça casse ! Et le technicien malicieux vous répondra que c’est précisément la fonction de la 103ème pièce : l’âme en plastique sert à éviter que les torons soient en contact les uns avec les autres, les maintenant ainsi à distance, il n’y plus de frottements et l’usure est minime. Enfin, s’il fallait rassurer le lecteur, tous les câbles du téléphérique sont sous contrôle permanent et l’état de chacun est connu au centimètre près.

Changement de câble porteur, en 1967.

Schéma de coupe d’un câble tracteur.

Qu’est-ce qui pèse 46 tonnes et qui est invisible depuis 1934 ?

Pour assurer la tension des câbles, la solution la plus simple et la plus efficace consiste à les tendre avec des contrepoids. Ainsi, à la Bastille, sous la gare du haut, protégés des intempéries, trois massifs énormes de béton assurent cette tension. Chaque câble porteur est tendu par un contrepoids de 46 tonnes et le câble tracteur par un contrepoids de 24,4 tonnes. En 1934, c’est l’entreprise de travaux publics Charles Milliat qui est chargée de la construction des gares et des contrepoids. En regardant ces contrepoids monumentaux, on devine l’ordre de fabrication : les contrepoids ont été faits en premier et la gare a été construite autour. Ainsi, en 1976, bien que l’on change de technologie, tous les calculs se feront en fonction du poids et de l’emplacement de ces trois poids lourds qu’il aurait été très difficile de changer.

C’est ainsi que, depuis 1934, à la manière d’une horloge normande, sous les effets des allers et retours des cabines, à chaque voyage, gracieuse et légère, une danse aérienne se chorégraphie dans les entrailles cachées du téléphérique. Quand la cabine de droite quitte la gare du bas, le contrepoids de droite s’élève doucement, tandis que celui de gauche se mettra en mouvement au passage au pylône de la cabine descendante. Voilà comment à longueur de journée, inlassablement et alternativement, quand le poids des cabines se fait ressentir sur les câbles, les deux fois 46 tonnes de béton s’envolent avec la grâce d’un souffle sur une plume. Depuis 90 ans, le téléphérique est l’horloge géante qui rythme secrètement la vie des grenoblois.


Les contrepoids, depuis 1934.©Marc Vazart.

Les deux grand-mères de 1934

Là-haut, au-dessus de la gare du haut, précisément au-dessus de la pièce où se trouve le technicien qui vend les tickets et s’assure de la sécurité et du confort des passagers, se trouve la salle des poulies. C’est dans cette salle qu’arrivent le câble tracteur et les deux câbles porteurs pour être reliés aux contrepoids, c’est donc dans cette salle que se trouvent les deux grand-mères (et sœurs jumelles) du téléphérique : les poulies de déviation. En fonte, elles servent à orienter le câble, à le faire passer de l’horizontale à la verticale en direction de la salle des contrepoids. Fondues et installées en 1934, elles n’ont pas bougé depuis, sauf en 2015 quand il a fallu changer les bagues en bronze avant de les remettre en place.


Une des deux poulies de déviation des câbles porteurs

Changement des bagues en bronze, en 2015

Le mystère de la poulie jaune

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi la poulie de la gare du bas est rouge alors que la poulie de la gare du haut et jaune ? Ou plutôt, pourquoi les deux poulies n’ont pas la même couleur ? Les plus mauvaises langues diront que c’est pour ne pas se tromper de gare et que c’est bien utile pour certains fêtards. Les plus instruits s’avanceront peut-être, l’air un peu condescendant, pour nous apprendre que réglementairement les pièces tournantes doivent être peintes de couleur jaune. C’est vrai, mais si c’était la seule raison, alors pourquoi la poulie de la gare du bas est peinte en rouge ? La réponse à cette dernière question est facile à donner, car une fois montées, chacun est libre de peindre ses pièces tournantes de la couleur qu’il veut, rouge, vert, bleu, jaune, mauve ou rose, peu importe ! Le jaune ne concerne que la sortie d’usine et le moment de la livraison. Et nous revoilà de nouveau face au mystère de la poulie jaune, on tourne en rond, on en voit de toutes les couleurs. C’est finalement Yves (l’ancien chef d’exploitation) qui nous apporte l’explication : c’est parce qu’en janvier 2010, au moment du changement de la poulie, celle-ci n’a pas été repeinte. Alors qu’Yves avait la main sur le pinceau prêt à s’élancer dans une folie rouge, l’ancien directeur (Michel Lambert) a surgi, et de sa gouaille habituelle s’est écrié : « C’est la même couleur que mon voilier ! Yves, vous n’y toucherez pas ».

Installation d’une nouvelle poulie motrice en gare supérieure, en 2010.

Visite guidée de la salle des machines en 1934

On se croirait presque dans l’antre secrète du méchant dans un film de James Bond. Pourtant nous sommes bien dans la salle des machines du téléphérique de la Bastille en 1934. L’escalier, en haut à droite, permet l’accès à la passerelle qui enjambe la route pour rejoindre la gare et son poste de commande. Au premier plan, trois moteurs. À droite, le moteur principal, au milieu, le moteur auxiliaire servant en cas de défaut du moteur principal. Ces deux moteurs sont électriques contrairement au moteur de secours (à gauche) qui est un moteur à essence (6 cylindres) et sert à pallier à une éventuelle coupure d’électricité.

Derrière les deux moteurs, sans capot, deux enchevêtrements quasi horlogers de pignons et d’engrenages, servant à la fois de réducteurs et de boites de vitesses. Et tout au fond, à la verticale, immense et majestueuse, la poulie motrice, celle qui donne le mouvement et la vitesse au câble tracteur. Derrière elle, plus modeste, la poulie auxiliaire, c’est-à-dire la poulie dédiée au câble tracteur auxiliaire (sorte de câble de secours).

Ne reste plus qu’à faire un tout petit effort d’imagination pour voir toute cette mécanique s’animer et regarder cette immense roue de 3 mètres de diamètre se mettre en rotation.

Aujourd’hui, la salle des machines, plus communément appelée machinerie, est toujours située au même endroit, juste en dessous du quai d’embarquement de la gare inférieure.


Machinerie, en 1934.
Machinerie, en 2024.

Les demi-dieux des remontées mécaniques

N’importe quel quidam ne peut pas conduire un téléphérique. Il faut pour cela détenir un CQP, Certificat de Qualification Professionnelle (code RNCP38035, Conducteur de Téléphérique, bi-câble, funiculaire et appareils similaires). Pour simplifier, on parle volontiers de permis de conduire et l’expression est assez juste à la différence que ne se présente pas qui veut à l’examen. Ainsi, avant même d’y penser, il faut détenir le CQP d’agent de remontées mécaniques, avoir une expérience professionnelle dans le secteur de minimum 12 mois et être présenté par un employeur.

Ainsi, en 2022, seulement 5 personnes ont obtenu ce graal des remontées mécaniques. Et si les élus sont peu nombreux, nous savons qui a obtenu les deux premiers permis de conduire en France. Sortes de demi-dieux, il s’agit de Paul Erié et Michel Verdon, employés du téléphérique de la Bastille, ayant passé leur examen aux commandes de cet appareil le 06 mars 1973. Sur la photo parue dans le Dauphiné Libéré, on voit le président du SNTF (Syndicat National des Téléphériques de France) agrafer au revers du veston de l’un de nos deux candidats le badge de conducteur agréé.

11 ans plus tard, exactement le 29 mai 1984, le permis n°20 (seulement) sera attribué à un certain Yves Erié, fils de Paul et digne héritier de sa passion.


Article du Dauphiné Libéré, en 1974.

Badge de conducteur agréé.

Comment conduire un téléphérique ?

L’ancien poste de commande (de 1934 à 1976) témoigne bien des préoccupations d’un conducteur de téléphérique.

  1. Être en contact avec les collègues et cela quoiqu’il arrive : fonction assurée par le généphone, sorte téléphone qui fonctionne sans alimentation électrique. Donc même en cas de panne de courant dans toute la ville, les communications fonctionnent.
  2. Maitriser la puissance du moteur pour faire varier la vitesse du téléphérique : fonction assurée par la manette du rhéostat au centre de la photo. En la faisant pivoter autour de son axe, le conducteur passe d’un plot de résistance à l’autre et envoi ainsi plus ou moins d’électricité dans le moteur.
  3. Assurer le bon retour des cabines en gare même si le moteur principal est en panne : fonction assurée par le deuxième poste de commande (en bas à gauche). En transférant la manette du rhéostat principal sur l’axe du rhéostat du moteur auxiliaire, le mécanicien actionne le moteur de secours.
  4. Connaître la vitesse des cabines : fonction assurée par 4 cadrans, un ampèremètre, deux voltmètres, et un tachymètre (indicateur de vitesse, gradué de 0 à 5 m/s).
  5. Freiner le téléphérique en cas d’urgence : fonction assurée par le levier blanc en haut à droite de la photo. Ce levier est directement relié à la poulie motrice sur laquelle est installé le système de freinage. En marche normale, ce système de freinage est automatique et fonctionne grâce à la force centrifuge : si la roue va trop vite, les mâchoires s’écartent.
  6. Bloquer le téléphérique à l’arrêt : fonction assurée par le frein à cliquets (roue crantée et levier en bas à droite de la photo). Ce frein pouvait aussi servir en cas de défaillance du frein principal et du frein de secours.
  7. S’assurer de la fermeture des portes avant de commencer le voyage : fonction assurée par les deux voyants qui s’éclairent automatiquement en rouge ou en vert selon l’état des portes. Il est impossible de démarrer le téléphérique si un des deux voyants est rouge.
  8. Savoir où se trouvent les cabines sur la ligne : fonction assurée par les indicateurs de course. Ce sont deux très longues vis (accouplées au système de commande) sur lesquelles se déplace deux curseurs représentant l’un la cabine de droite, l’autre la cabine de gauche.

Poste de commande, de 1934 à 1976.

Coincés huit ans dans une bulle !

Transformer les cabines carrées en bulles est une belle et élégante idée, mais encore faut-il être cohérent jusqu’au bout. Et voilà comment le poste de commande de 1976 avec la billetterie se trouvent regroupés dans une bulle destinée à rester à quai.

De la même taille que les bulles qui voyagent, dans celle-ci rentreront 61 voyants, 18 boutons, potentiomètres, combinateurs, sélecteurs et 13 cadrans d’indications diverses (compteurs de distances, horaires, tensions, courants, vitesse du vent) répartis sur un pupitre occupant le tiers d’un cercle et épais de 45 cm. Ajoutons-y la caisse, le caissier et le conducteur et voilà une bulle pleine comme un œuf dans laquelle la cohabitation n’est pas toujours facile.

Ainsi se souvient-on d’un certain Michel Gallo – conducteur au caractère marqué – qui n’entrait pas dans la bulle sans avoir auparavant délimité son espace de vie par quelques traits de scotch rageusement collés au sol et que son colocataire ne devait en aucun cas s’aviser de franchir ! On se souvient aussi de Jacques Ruh, caissier affligé d’un genou qui se pliait à l’envers et qui devait passer par toutes sortes de contorsions avant de s’installer à son poste de travail pour ne surtout plus franchir la ligne de démarcation scotchée au sol. Ce n’est que huit ans plus tard (en 1984) que le poste de commande et la billetterie trouvèrent leur aspect actuel et que les employés prirent une nouvelle respiration.


Poste de commande dans une bulle, en 1976.

Poste de commande, depuis 1984.

De quoi t’as peur ?

Le plus souvent, les personnes qui ont peur de monter dans un téléphérique craignent deux accidents, soit que le câble casse, soit que la cabine se décroche. Si ces peurs sont parfaitement compréhensibles, ce n’est pourtant pas ce que redoute le plus l’exploitant du téléphérique. Bien sûr, les câbles sont contrôlés avec la plus grande exigence et l’attache des cabines vérifiées toutes les 50 heures, mais cela serait bien insuffisant pour garantir la sécurité et le confort des passagers. Deux autres points de vigilance sont essentiels : le freinage et l’adhérence.

Le freinage : il en faut ni trop, ni trop peu. Trop peu de freinage et les cabines risqueraient d’arriver trop vite en gare, avec les conséquences que l’on peut imaginer. Mais surtout, un freinage trop violent provoquerait des « coups de fouet » pouvant déplacer les cabines quasiment à l’horizontal voire de faire dérailler le câble ou les cabines. Donc les freins sont réglés et entretenus pour être à la fois efficaces et souples. Enfin, chaque jour, avant l’ouverture au public, un voyage sans passagers est réalisé afin de faire des essais de freinage en ligne.

L’adhérence : ici, c’est du câble tracteur dont il s’agit. Pour mémoire, les cabines roulent sur le câble porteur et sont mises en mouvement par le câble tracteur. Or, ce câble tracteur est entrainé par la poulie motrice, il doit donc avoir la juste tension pour toujours être en adhérence avec cette dernière. Une perte d’adhérence serait catastrophique car cela signifierait que toute la ligne se mettrait à glisser et deviendrait incontrôlable. Heureusement, la technique de mise en tension du câble est d’une simplicité enfantine : le câble est ancré d’un côté à un point fixe (à Grenoble, c’est en gare du bas), et tendu à son autre extrémité par un contrepoids. Ainsi, le câble reste tendu pendant toute l’ascension, garantissant la parfaite adhérence au bandage de la poulie motrice.

cable car bastille

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